le 11 novembre 1918 vu par Mélanie
...Nous étions encore sous le coup de cette émotion (la mort au front le 2 novembre 1918 de son neveu Michel Riboud des Avinières) lorsque le 11 novembre à 11 heures, nous entendîmes le branlebas si joyeux des cloches de Saint Thomas d'Aquin, que tout de suite je compris et tombai à genoux pour remercier Dieu enfin ! Henri arrivait pour déjeuner, ayant déjà des détails sur la signature de l'armistice au carrefour que nous connaissions bien de la forêt de Compiègne. Il voulut tout de suite parcourir Paris en fête et nous eûmes la grande chance qu'un taxi découvert voulut bien nous charger et nous conduire vers 2 heures sur la place de la Concorde. Mais il y fut bloqué par une foule si dense, si heureuse, qui arrivait de tous côtés en remous infranchissables. Tout le monde voulait passer devant la statue de Strasbourg débarrassée de ses crêpes et de ses couronnes votives. En revanche, on la couvrait de fleurs fraîches, on lui chantait une Marseillaise toujours renouvelée, on aurait dansé s'il y avait eu de la place, mais on ne pouvait bouger ni avancer. si bien que deux dames, voyant notre strapontin vide, nous demandèrent de s'y mettre. Nous les prîmes en charge, mais quand elles virent le pilon d'Henri, elles furent très confuses. Il fallut près d'une heure pour nous dégager. Enfin nous pûmes remonter jusqu'à l'Etoile dont les avenues étaient obstruées de foules joyeuses et par le boulevard Haussmann redescendre à la place de l'Opéra où le spectacle vers 4 heures était incroyable d'animations, de danses et de chants.
Ce soir-là j'avais convié quelques amis de mes enfants avec qui nous allâmes voir les illuminations qu'on ne connaissait plus depuis si longtemps. Henri était si heureux qu'il ne sentait pas sa fatigue. La lune brillait sur la ville flamboyante et la joie débordait. Toutes les souffrances s'évanouissaient comme une vapeur que le soleil de la gloire absorbait. Même le sacrifice si douloureux de notre enfant s'acceptait comme la rançon de nos provinces reconquises, mais je gardais plus profondément dans mon cœur la pensée que mon cher petit avait réalisé sa vocation...
(Extrait des mémoires de Mélanie Balleyguier, née Duchatelet)